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Comment on devient prof de FLE ?


L’Annonciation de Gabriel


    On sort rarement du lycée avec les idées bien claires sur le métier que l’on veut exercer à 40 ans. Rares sont ceux qui ont, dès l’acné, une vocation chevillée au corps.

Quand un francophone natif a le bac en poche, à moins d’avoir grandi dedans ou d’y être particulièrement sensibilisé, il s’inscrit rarement à la fac dans une filière FLE.

Car bien souvent il en ignore l’existence, et parce qu’il pense bêtement qu’être prof de langue, c’est forcément d’une langue… étrangère à soi.

Oui, à 18 ans, nous sommes souvent très provinciaux, très ethnocentrés, (c’est souvent synonyme), et l’on imagine difficilement que notre langue maternelle puisse être la langue étrangère de quelqu’un, et que comble du comble, on puisse l’enseigner !

    Et pourtant !


Mais comment on fait ?

Ce sont les épiphanies qui m’intéressent aujourd’hui, ces moments où l’on se dit « bon sang mais c’est bien sûr ! » « Eurêka, j’ai trouvé ma voie » !

On le découvre assez tard, et c’est une révélation !

On le découvre sur le tas, et ça m’a tout l’air d’une annonciation !

Di Leonardo da Vinci - Opera propria, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=45633727

    Bien sûr, il y a la possibilité d’envisager la chose comme un gagne-pain, une simple activité échangée contre rémunération, ou un escamotage futé pour voyager à peu de frais.

Nous prendrons ici le parti de parler de l’enseignement du FLE indépendamment de ses contingences pécuniaires. Car sur le plan économico-financier, il y aurait trop à dire. Ce prisme nous obligerait à convoquer des termes trop techniques : exploitation, précariat, conditions de travail, lance-pierre, foutage de gueule organisé etc.

Trop de prof de FLE sont précaires.

Trop de prof de FLE aiment leur job.

Le rapport de cause à effet est pervers, mais il explique tout.

Et au milieu de cette chaîne logique : un maillon noué, une révélation imprévue.

C’est mon cas.

Il s’appelait Gabriele, et ça tombe bien !

Cela me permet de jouer sur les mots, et de convoquer la métaphore de l’archange venant me dire, comme sur un tableau de la Renaissance dont je serais la Madonne : « Tu portes en toi le goût du FLE » !

C’était mon premier étudiant, j’avais 24 ans à peine, et il a changé ma vie.

    J’avais, il est vrai, déjà vécu ma petite révolution personnelle d’étudiant Erasmus : Non, je ne préparerai pas le Capes, non je ne deviendrai pas fonctionnaire en France, non je n’intégrerai pas les rangs de l’éducation nationale !

Je n’avais pas encore eu la révélation professionnelle : enseigner une langue, maternelle ou pas, c’est un kif monstrueux !

Il s’appelait Gabriele, et c’est anecdotique.

Il aurait tout aussi bien pu s’appeler Özgür, Dilara, Zoltan, Csenge, Gabor, ou Mireia. C’était le premier d’une liste infinie d’apprenant(e)s.

J’avais 24 ans et Gabriele venait me dire, de par son seul statut d’apprenant (pas d’archange), qu’il existe un rapport humain ludique et linguistique basé sur le don réciproque, et que ce rapport est jubilatoire.

Le prof donne : sa maîtrise de la langue, ses connaissances en lexique, grammaire, prosodie, son savoir-faire pédagogique, sa patience, sa bienveillance, son écoute...

l’élève donne : sa curiosité, son envie, son ingénuité, ses tâtonnements, son habileté, sa virtuosité, ses bonnes questions, ses super réponses, sa voix...

Et l’heure passe de don en don, et dans le meilleur des cas, les deux sont contents dans un cercle bien vertueux.

Un rapport marchand idéal, l’offre et la demande en accord parfait, avec la supplément d’âme de la relation entre deux êtres vivants pour rendre le deal plus chouette.

    J’avais 24 ans et je venais de découvrir le plaisir professionnel du FLE. Un plaisir qui porte, qui pousse à se dépasser, à faire toujours mieux, à dépasser la satisfaction primitive des premiers pas dans la didactique, à quitter le manuel, à confectionner, à didactiser, à tenter des trucs, à en vouloir plus, plus d’étudiants, plus de niveaux, plus d’objectifs et d’approches, plus de méthodes et d’activités… et in fine à laisser tomber définitivement ce qu’un temps j’avais imaginé comme ma vocation professionnelle, mais qui ne me nourrissait que financièrement.

Une claque.

J’ai découvert le FLE par hasard, sur le tas.

Et 15 ans après, je me conçois difficilement faire autre chose. Malgré tout.

On devient prof de FLE par hasard, il suffit d’une annonciation. On le reste parce que le métier correspond à sa personnalité, sa philosophie, sa curiosité, sa subjectivité (n’ayons pas peur des grands mots!)

    Je crois n’être pas seul, je devine même être symptomatique de ma génération, de mon milieu, de mes origines.

Alors je m’interroge, j’aimerais savoir. Et les autres ?

Les plus anciens, ne serait-ce que 20 ans de plus, comment êtes-vous tombés dans la marmite ?

J’ai connu beaucoup de conjoints et conjointes d’expatrié(e)s qui ont découvert le FLE par la force des choses, et qui souvent ont dû (voulu) se professionnaliser à posteriori, après des années de pratique. Mais quels parcours encore ?

Les plus jeunes, ne serait-ce que 10 ans de moins, comment sont-ils devenus prof de FLE ? J’entrevois des bacheliers pour qui les concepts primo-arrivant, FLI , classes CLIN sont clairs dès le départ, et s’orientent naturellement vers des études en accord avec leur projet professionnel. J’imagine mille parcours, et surtout mille autres témoignages que je n’imagine même pas.




Commentaires

  1. Bonsoir,
    J'avais depuis longtemps renoncé à intégrer l'Education nationale. Le FLE m'est tombé dessus parce que j'étais bonne cliente des écoles de langues, que j'ai adoré "refaire" mon anglais scolaire au British Council ou aborder l'arabe à l'ILI (International Languae Institute) du Caire.
    C'est aborder des langues étrangères d'une façon radicalement non-scolaire qui m'a ouvert les yeux : enseigner le français pouvait passer par cette voie-là, chemin vers l'école buissonnière des langues. Celle où on apprend à les parler ou à les lire, pour le plaisir et pas pour la note au collège ou l'oral du bac.

    PS : "exploitation, précariat, conditions de travail, ..." J'ajouterais, selon la formule d'un collègue : "Vacataire. EN UN MOT".

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  2. Merci, chère Nelly, d'ouvrir le bal des témoignages !

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