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L’intercompréhension, pour qui ?


    On ne le répétera jamais assez : apprendre le français, c’est apprendre des cultures francophones. La langue est indissociable des peuples et des pays qui la parlent. Mais elle est aussi indissociable de ses origines et de ses voisines, de son histoire et de sa géographie.

    Tout comme il est toujours enrichissant de replacer le français dans sa généalogie et d’observer comment il a évolué à partir du latin, il semble également pertinent de replacer la langue dans sa topologie linguistique, de la contextualiser globalement, non pas en tant qu’isolat linguistique éparpillée sur les continents, mais en tant que membre d’une grande et riche famille, celle des langues romanes. A l’heure de la mondialisation, comme dit l’autre, on ne peut ignorer ses voisins.

    Il existe beaucoup de langues néo-latines, du Portugal à la Roumanie. L’Europe en est baignée, à différents statuts, bénéficiant de différents prestiges, avec un nombre de locuteurs plus ou moins grand. Envisager le français au sein de ce continuum linguistique est, il me semble, non seulement une richesse, mais aussi la porte ouverte à quelques activités d’apprentissage à la fois intéressantes et ludiques.


Déssin : Minna Sundberg

L’intercompréhension, ça n’est pas que pour les Latins

    Précisons une chose. Les réflexes de comparaisons pour distinguer les faux des vrais amis, identifier les pièges et les similitudes, sont logiques et naturels pour des enseignants et apprenants d’Italie, d’Espagne ou du Brésil. Ceux-ci ont en effet la possibilité d’établir des ponts et des digues entre le français et leur langue maternelle. Ils ont la chance d’être « en famille » (d’autres diront le malheur...). Ces petites joies ne devraient pas leur être réservées.

    D’abord, parce que, que l’on enseigne à Varsovie ou à Alger, nous n’avons pas en face de nous des pages blanches, coupées du monde, qui auraient juré à l’apprentissage du français une fidélité totale et exclusive, et qui refuseraient d’être exposés à d’autres langues latines. Dur dur d’être hermétique aux productions commerciales et culturelles néo-latines : du bel canto à la Casa de papel, de Copacabana au casino de Constanța.

    Nous avons tous connu des apprenants qui avaient étudié, ou qui étudiaient en parallèle une autre langue latine. Envisager le français dans cette constellation linguistique, c’est prendre en considération des apprenants vrais, non théoriques, connectés au monde tel qu’il est : plurilingue.

    Et quand bien même nos apprenants seraient des talibans du français et refuseraient d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles aux autres langues, nous avons justement la possibilité de les leur ouvrir, en leur proposant justement, d’élargir leurs horizons : origines et racines !

L’intercompréhension, ça n’est pas que pour les érudits

    On notera que dans un parcours d’apprentissage monolithique monolingue, le risque de monotonie (tout est dit dans le préfixe !) est grand. Proposer une activité prenant en compte la diversité du monde et la richesse linguistique des sœurs du français, représente une possibilité de rompre la routine, d’ajouter quelques couleurs au tricolore. Une expérience menée avec un groupes d’adolescents de Budapest m’a conforté dans cette idée, quand après les avoir fait jouer 30 minutes avec du portugais, de l’espagnol et du roumain, ils m’ont dit, en vrac :

    C’était marrant, et intéressant ! Ça change un peu.

    En fait, grâce au français, on peut comprendre aussi d’autres langues !

Pour ceux qui chercheraient encore des arguments pour « vendre » l’apprentissage du français, cette dernière réflexion a de quoi inspirer.

L’intercompréhension, c’est pour tout le monde

J’en veux pour preuve l’existence de l’application Romanica, qui propose de jouer avec 8 langues. 


Plus d'informations :https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Ressources/Ressources-pedagogiques-et-sensibilisation/Romanica

    Et puis, à une moindre échelle, un autre petit exemple, qui ne révolutionnera pas la pédagogie, mais qui peut inspirer les professeurs. C’est l’exemple du tableau comparatif. Cette activité propose de réviser les jours de la semaine à travers un jeu de comparaison trilingue. C’est en quelque sorte un austère exercice de vocabulaire sous un vernis excitant et exotique de jeu. Car c’est une autre vertu des langues latines, elles nous permettent d’enseigner le français par un nouveau biais, avec de nouvelles couleurs.

extrait de DELF scolaire et junior A2, édition enrichie pour la Grèce, Hachette.


    Dans un prochain post, je proposerai une petite activité concrète pour exposer les enjeux et les intérêts pédagogiques des stratégies d’intercompréhension entre langues romanes.




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