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L’intercompréhension sur le terrain


    Profs de langues, nous apprécions les théories didactiques. Mais nous sommes des êtres de terrains, et nous aimons surtout le concret. Alors, l’intercompréhension, en classe, ça donnerait quoi ?

    Nous verrons ici que le mot un peu flou intercompréhension désigne en réalité un éventail de possibilités d’activités ludiques plurilingues, mettant en œuvre des stratégies de compréhension utiles toute la vie, jusqu’à en devenir des réflexes acquis de linguiste dilettante et voyageur (autant dire des citoyens ouverts ?).


    Il s’agit aussi de transmettre, en même temps que des stratégies, une forme de curiosité et un amour pour ces choses étranges que l’on appelle des langues (sans distinction de couleurs et de sons).

www.flickr.com/photos/fboosman/186024520



Un échauffement : couleurs de maillots

  Comme quand nous étions petits, on peut proposer comme première sensibilisation aux langues romanes le jeu des drapeaux. Il s’agit d’associer les groupes nominaux aux drapeaux ainsi nommés (en d'autres termes, légender des icônes dans la langue que celle-ci désigne)

    Une première étape d’une démarche basée sur le plurilinguisme, est en effet celle d’acquérir des connaissances sur le monde, et sur les langues.


la bandiera italiana        la bandera española        a bandeira de Portugal

la bandera catalana        le drapeau français            Drapelul României


    Dès cette activité, un premier bénéfice apparaît. L’apprenant, actif dans le petit jeu, peut reconnaître plusieurs micro-phénomènes linguistiques, comme le féminin en a de beaucoup de langues romanes, et l’existence du binôme lexical pour désigner un seul objet : le dérivé de bande, et le dérivé de drap.

    Pour le français à proprement parler, avec une telle activité, et sans jamais avoir étudié le latin, un apprenant sera moins désarmé lorsqu’il rencontrera dans un texte les mots bandière, banderole.


Le match : des joueurs en action



    Nous proposons ici une mini activité d’intercompréhension sur un corpus composé d'une image et d'une légende de quelques mots, en 5 langues, décrivant une statue inspirée d'un événement de la Coupe du monde de football 2006.


Statue de l’artiste algérien Adel Abdessemed
www.flickr.com/photos/groume/8145791803

  • Il colpo di testa di Zidane
  • El cop de cap de Zidane
  • Lovit de Zidane cu capul
  • El cabezazo de Zidane (el golpe de cabeza)
  • La cabeçada de Zidane


Voyons le B.A BA des stratégies de compréhension :

    1. Associer un texte opaque à une image pour en extraire du sens. (réflexe rentable toute la vie)

Ici, le nom propre Zidane guide la lecture, et la légende nomme l'instant figé par l'artiste : un épisode sportif bien connu des amateurs de foot.

   2. Comparer les langues entre elles, essayer de les identifier, observer en particulier l’ordre des mots, et les mots eux-mêmes. (On aura bien sûr identifié auparavant les 5 langues présentes)

Pour cela, remplir un petit tableau comparatif. Il a pour vertu de rendre actif l'apprenant dans son observation, et de faciliter les conclusions.

    On ne met volontairement le doigt que sur deux mots de lexique. Il est évident que tout ne peut pas être exploitable, et que les similitudes ne sont pas toujours parfaites. Une occasion de rappeler à nos apprenants qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre dans les moindres détails pour comprendre un texte, et que chaque langue a sa propre logique.


Troisième mi-temps : le débrief du prof


    Un premier avantage de cette activité de comparaison en classe de français est de l’ordre de l’orthographe. Avoir observé et comparé des langues latines, permet d’offrir une expérience linguistique aux apprenants, laquelle leur offre un moyen mnémotechnique pour se souvenir que coup prend un p comme en italien, en catalan, et en espagnol, et que tête prend le fameux accent circonflexe témoin du s disparu.

    Un second avantage est, lui, de l’ordre de l’enrichissement du lexique. Avoir mis en parallèle tête et les différents mots dérivés du latin caput capitis, permet aux apprenants de français de parvenir à inférer le sens d’énoncés comme :

  • Le roi a été décapité.
  • Bruxelles, capitale de l’Europe.
  • Quel parfum capiteux !
  • C’est un sujet capital.
  • À vos ordres mon capitaine !


    Une telle activité peut tout à fait s'insérer en début de cours, comme introduction à la thématique et au document proposé, soit en fin de cours, comme élargissement ludique. Jouer avec des langues en cours de langue, ça n'est pas moins pertinent qu'écouter une chanson, si ?

Coda bonus : un reportage sur la statue Coup de tête d' Adel Abdessemed.




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