Accéder au contenu principal

À qui profite le CECR ?

  Formons-nous des acteurs sociaux ou des sujets pensants ? Les compétences sont-elles plus importantes que les savoirs ? Quelle différence entre plurilingue et polyglotte ? Peut-on vraiment enseigner des "attitudes" d'ouverture au monde et aux langues ? A-t-on sacrifié l'enseignement des langues sur l'autel de l'éducation civique et de la tolérance ? Les niveaux du CECR sont-ils le bras armé de l'employabilité des citoyens européens ? Les intellectuels qui ont rédigé le Cadre sont-ils déconnectés de la "vraie vie" du commun des mortels des Européens ?


L'enlèvement d'Europe, monnaie grecque de 2 euros
 

    Réagissant à l’actualisation du CECR de 2018, Bruno Maurer et Christian Puren ont publié en décembre 2019 un livre plutôt réjouissant pour tous les enseignants qui regardent le Cadre avec un mélange de pragmatisme et de scepticisme. Le Cadre (qu’on cite parfois comme s’il s’agissait d’un livre saint) est un outil intéressant sur de multiples aspects, certes, mais aux allures un peu trop dogmatiques quand il est évoqué comme l’alpha et l’oméga de l’enseignement des langues, comme une référence indépassable et indiscutable. Leur ouvrage, CECR : par ici la sortie ! est accessible ici. Bruno Maurer avait déjà publié un ouvrage sur lequel nous revenons dans ce post.

Bruno Maurer, 2011

    On sait combien, parfois, le bon sens pédagogique peut entrer en conflit avec des directives "venues d'en haut". Pour ma part, je n’aime ni les dogmes ni les diktats. Je n'aime pas non plus le populisme et la démagogie, mais il m'arrive de trouver à la polémique une vertue de stimulation de l'esprit critique. Autant je peux trouver intéressants les violents pamphlets de Michel Onfray contre les monothéistes ou la psychanalyse freudienne, autant j’avais trouvé que le précédent essai de Bruno Maurer (couverture ci-dessus) suscitait une saine réflexion sur les enjeux du Cadre et l’idéologie  qui en avait guidé la rédaction. Nous en reproduisons ici la quatrième de couverture et le sommaire :

« A la fin des années quatre-vingt-dix, le Cadre européen commun de référence proposait à l'enseignement des langues deux perspectives : perspective actionnelle et didactique du plurilinguisme. Dix ans après, on dispose d'assez d'éléments pour dresser un bilan critique de l'évolution de l'enseignement des langues sous l'influence du Conseil de l'Europe.

Le premier constat est que didactique du plurilinguisme et didactique des langues ne sont pas synonymes et pourraient même être antinomiques. Avec l'éducation plurilingue et interculturelle, il ne s'agit plus en réalité d'enseigner les langues, mais de construire de toutes pièces l'identité du futur citoyen européen. L'examen des compétences visées, des dispositifs de formation des enseignants, des curriculums montre que les aspects linguistiques sont considérablement minorés. Dans le même temps, le rôle de l'institution scolaire dans l'enseignement des langues et la professionnalité d'enseignant de langue sont profondément remis en question.

Ces mutations très profondes s'opèrent pourtant sans bruit : c'est que le plurilinguisme fonctionne comme nouvelle idéologie dominante, se présentant comme un horizon désormais indépassable. Un examen minutieux des textes de référence de l'éducation plurilingue et interculturelle permet de démonter les mécanismes de cette domination.

Pourquoi l'Europe s'intéresse-t-elle tellement à l'enseignement des langues ? Au service de quel projet politique celui-ci est-il enrôlé ? Si la critique se fait politique, c'est parce que l'enseignement des langues est aujourd'hui partie prenante d'un projet politique dont chercheurs et enseignants ignorent largement les enjeux... alors qu'ils sont invités à le développer et à le mettre en œuvre. »


Sommaire Enseignement des langues et construction européenne, Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante, Bruno Maurer

    Il me semble nécessaire et salutaire de lever la tête du manuel, de sortir de sa salle de classe, pour s’autoriser un regard critique sur les courants didactiques en cours et les politiques linguistiques, quelle que soit l’échelle à laquelle elles opèrent. Celles-ci influencent le monde de l’enseignement, nos programmes, nos formations... Les connaître peut nous permettre de nous questionner, de nous positionner, de savoir s’il est pertinent, ou non, de sortir les grands mots et d’entrer en "résistance pédagogique". Les ouvrages de Bruno Maurer sont à n'en pas douter une belle occasion de prise de recul et de réflexions tant professionnelles que citoyennes.

N'hésitez pas à partager les vôtres en commentaires.


Ouvrage cité :  MAURER Bruno, Enseignement des langues et construction européenne, Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante, Paris ; édition des archives contemporaines, 2011, 156 p.




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ludification académique : à côté de la plaque

     Un jour, en France, après des mois de « continuité pédagogique » plus ou moins bien gérée, quelqu’un a pensé que ce serait une bonne idée de donner des médailles en chocolat aux enseignants. Et ne riez pas, il y a eu quelqu’un pour dire «  Oh oui, super idée ! »      Imaginons la scène de la genèse. Quelques fonctionnaires dans une salle, en train de réfléchir : -Bon, alors, il faut faire un geste fort pour les profs, on fait quoi ? Des idées ? -On pourrait leur donner des médailles… -Comme aux infirmières face au COVID ? Non, ils vont dire qu’on se moque d’eux, et qu’on n’a pas d’imagination… -Et si on leur donnait des badges ? -Du budget ? Tu devrais voir une orthophoniste, parce que tu prononces vraiment mal certains mots. -Non, pas du budget ! Des badges ! -Tu veux dire des écussons ? Comme aux scouts ? -Oui ! Mais pas des vrais à coudre sur leurs chemises, hein, des ...

Comment on devient prof de FLE ?

L’Annonciation de Gabriel      On sort rarement du lycée avec les idées bien claires sur le métier que l’on veut exercer à 40 ans. Rares sont ceux qui ont, dès l’acné, une vocation chevillée au corps. Quand un francophone natif a le bac en poche, à moins d’avoir grandi dedans ou d’y être particulièrement sensibilisé, il s’inscrit rarement à la fac dans une filière FLE. Car bien souvent il en ignore l’existence, et parce qu’il pense bêtement qu’être prof de langue, c’est forcément d’une langue… étrangère à soi. Oui, à 18 ans, nous sommes souvent très provinciaux, très ethnocentrés, (c’est souvent synonyme), et l’on imagine difficilement que notre langue maternelle puisse être la langue étrangère de quelqu’un, et que comble du comble, on puisse l’enseigner !      Et pourtant ! Mais comment on fait ? Ce sont les épiphanies qui m’intéressent aujourd’hui, ces moments où l’on se dit « bon sang mais c’est bien sûr !...

Mémoires et mémorisation 1

Un mythe s’écroule ! La mémoire visuelle n’existe pas. Zut ! Ni la mémoire auditive, ni la mémoire kinesthésique ? Triple zut ! Moi qui essayais de faire mobiliser les trois à mes apprenants ! Mais alors, quelles mémoires existent ? Faisons le point.   image Adobe Stock Cinq différents types de mémoires   Il n’existe pas une seule mémoire, mais DES mémoires, chacune ayant son fonctionnement et sa temporalité.   La mémoire sémantique C’est un réservoir de savoirs sur le monde et sur soi. En d’autres termes, il s’agit de l’ensemble des connaissances explicites, que l’on peut nommer et déclarer (vocabulaire, concepts, notions, noms) Elle nécessite d’être sollicitée par des consolidations régulières pour une mémorisation à long terme.   La mémoire procédurale C’est le stock des acquis automatiquement réalisables pour produire des gestes routiniers que l’on accomplit sans y penser, « inconsciemment». Ils nécessitent un entraînement intense...