Accéder au contenu principal

Francophonie et planification : portrait d'apprenante

 Troisième portrait inspirant. Aujourd’hui, Paola nous parle de littérature francophone, de cartésianisme français et de bonnes habitudes d’apprenant.


 

 Bonjour Paola, et merci d’avoir accepté de témoigner. Tu peux te présenter en quelques mots ?

    Je suis italienne, professeure de langues (italien et anglais) et je travaille aussi comme traductrice et copywriter. J’aime bien voyager, lire, écouter de la musique, je suis passionnée de langues en général, et j’aime bien les gens, ce qui va ensemble.

Tu parles couramment l’italien l’anglais, l’espagnol, l’allemand et le français. Quelle place a le français dans ta vie ?

    J’ai grandi en parlant anglais et italien. J’ai commencé à étudier en même temps le français et l’allemand au lycée, mais très rapidement, le français a acquis plus d’importance, émotionnellement surtout. Comme je voyageais beaucoup, je rencontrais beaucoup de francophones, donc j’avais plus de relations avec le monde francophone. Les langues et les gens, tout ça est connecté pour moi, c’est ce qui me motive : la rencontre. J’ai continué le français à l’université, où j’ai découvert le monde culturel de la francophonie, à travers la littérature et le cinéma.


Quelle place a la littérature dans ton rapport à la langue française ?

    À l’époque, c’était moins facile de voyager que maintenant, donc lire, et le cinéma, c’était une façon de voyager. J’ai découvert qui étaient Senghor, Assia Djebar, et Driss Chraibi, et bien sûr Amin Maalouf. J’ai aussi connu la tradition de la littérature d’exil, des étrangers qui écrivent en français : Kundera, mais aussi aujourd’hui Negar Djavadi. Je lis beaucoup d’auteurs francophones parce que ça continue à m’enrichir, à m’offrir une ouverture sur le monde. Ça m’aide à entretenir mon français, bien sûr. Je trouve que la littérature francophone est beaucoup plus projetée sur le monde, alors que les livres écrits par les auteurs français sont très introspectifs, du moins c’est l’impression que j’ai. Mais il y a aussi une raison pratique, c’est que les livres français, ça coûte très peu, du coup, depuis que j’habite à l’étranger, je lis plus en français et en anglais qu’en italien.


Un petit conseil de livres, au passage ?

    Evidemment, je dirais L’Etranger d’Albert Camus, pour la force et la précision dans la description du deuil, et Les identités meurtrières d’Amin Maalouf, parce qu’il devrait être lu dans toutes les écoles !


 

Qu’est-ce que tes études universitaires en français t’ont apporté ?

    Pendant mes études, j’ai eu une rencontre avec l’aspect le plus cartésien de la culture française. J’ai vécu une forme de choc culturel avec mes enseignants, car ils étaient obsédés par le plan des dissertations, comme si c’était plus important que le contenu. A l’école en Italie, on ne fait pas de plan, en tout cas on ne le montre pas au prof, c’est la cuisine interne de chaque élève, ça n’intéresse pas les profs. Moi, je ne comprenais pas cette obsession. Mais plus tard, en travaillant aussi comme créatrice de contenus digitaux, j’ai souvent pensé à mes profs, en comprenant, dix ans après, pourquoi c’était si important. Aujourd’hui c’est moi qui fais des plans pour tout : même pour des réunions !

Je crois que c’est important d’enseigner cette habitude, et surtout d’enseigner pourquoi c’est utile de planifier, sinon les étudiants ne voient pas l’intérêt et prennent ça pour une marotte française.

En tant que prof avec des ados, je vois aussi maintenant en étant de l’autre côté à quel point les jeunes ont besoin d’apprendre à structurer leurs idées, pour écrire des textes développés. Ils n’en lisent pas, donc ne savent pas les reproduire. Leur pratique de la lecture se résume souvent à un tweet ou un post de réseaux sociaux, et donc, pour produire un texte écrit de plus de 200 mots, ils ont besoin d’apprendre à développer de façon cohérente.

Qu’est-ce que tu aimes dans la langue/culture française ?

    J’aime bien la phonétique, le son de la langue, mais surtout en fait le style de vie. Peut-être parce que j’ai grandi à Milan, où la langue française est associée à la mode et à une certaine idée de l’élégance. Je ne sais pas. En tout cas, ce que je ressens comme très fort, c’est le concept de « cousins ». La France et l’Italie sont très proches. Sur beaucoup de points, elles ont la même vision du monde, avec ce qu’il faut de différence pour que ce soit intéressant. C’est comme si le pays était une version moins conservatrice du mien, donc j’associe aussi la langue à une forme de liberté. Je me réfère aussi à tous les problèmes de la France d’aujourd’hui, qui est un pays complexe, et en tant qu’étrangère, c’est intéressant d’essayer de comprendre les zones d’ombre et les enjeux de tout ce qui se passe, notamment le vivre ensemble, et comment faire cohabiter l’amour de la liberté avec les côtés les plus conservateurs des nouvelles cultures qui arrivent dans le pays avec la mondialisation. Dans ce sens, la différence entre le modèle anglo-saxon d’intégration et le modèle à la française est fascinant. Par ailleurs, sur des thématiques comme celle de l’immigration, la France est en avance d’au moins 40 ans sur l’Italie, dans le sens où les problèmes auxquels elle est confrontée sont ceux que l’Italie est en train de commencer à vivre.

Un conseil aux apprenants de français ?

    Utiliser les nouvelles technologies ! Quand je pense que quand j’étais jeune, des choses comme Arte TV ou les podcasts de radios françaises étaient inaccessibles ou payants, je me dis qu’il faut profiter aujourd’hui de tous ces médias très bien produits, avec des contenus de qualité. Cela permet de faire entrer la langue dans le quotidien, c’est génial.

Une réflexion à partager avec les enseignants de français ?

    Peut-être montrer un peu moins le côté « grandeur française » et beaucoup plus le côté « ouverture au monde » de la francophonie. Le français a été pour moi une clé pour découvrir et apprendre à connaître le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Afrique occidentale, et c’est peut-être plus excitant que la tour Eiffel et les macarons.


 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Comment on devient prof de FLE ?

L’Annonciation de Gabriel      On sort rarement du lycée avec les idées bien claires sur le métier que l’on veut exercer à 40 ans. Rares sont ceux qui ont, dès l’acné, une vocation chevillée au corps. Quand un francophone natif a le bac en poche, à moins d’avoir grandi dedans ou d’y être particulièrement sensibilisé, il s’inscrit rarement à la fac dans une filière FLE. Car bien souvent il en ignore l’existence, et parce qu’il pense bêtement qu’être prof de langue, c’est forcément d’une langue… étrangère à soi. Oui, à 18 ans, nous sommes souvent très provinciaux, très ethnocentrés, (c’est souvent synonyme), et l’on imagine difficilement que notre langue maternelle puisse être la langue étrangère de quelqu’un, et que comble du comble, on puisse l’enseigner !      Et pourtant ! Mais comment on fait ? Ce sont les épiphanies qui m’intéressent aujourd’hui, ces moments où l’on se dit « bon sang mais c’est bien sûr !...

Chanson rétro pour niveaux A1, A2 et B2

  U ne chanson peu connue des années 70, intéressante à didactiser selon les niveaux. Le texte se suffit à lui-même, pas la peine d'être fan du chanteur. objectifs A1  : (seulement le premier couplet) reconnaître et prononcer des chiffres et des lettres systématiser des structures simples pour se présenter objectifs A2  : (toute la chanson) systématiser l’alternance présent-imparfait pasticher la chanson en l'appliquant à sa propre culture objectif B2  : (toute la chanson) identifier des références culturelles et des toponymes discuter du message de la chanson débattre sur l'impact des oeuvres d'anticipation comme vecteur de critique de la société W454 Musique Jacques Abel Jules Revaud / texte : Pierre Delanoe et Michel Sardou Je m'appelle W 454. J'habite au 4000 de la rue 44. Mon pays, il est là, c'est le F. 48, Situé sur la planète A.G. 1908. Le soir du 34 14 8037, Je me marie avec L.N. 317. Nous partons en voyage pour S.K. 49 D...

Médiation : du cadre à la classe C1

     Il en est de la médiation en cours de langue comme de la prose de Monsieur Jourdain, nous la pratiquons depuis longtemps sans nous en rendre compte. Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Acte II, Scène IV Le Bourgeois gentilhomme , Molière, 1670      Ayant formé pendant 4 ans des traducteurs et interprètes (donc des médiateurs), le concept et ses acceptions en didactique m'interrogent. Qu’entend le CECR par médiation ? Comment "médier des textes" en classe ? Quelques éléments de réponse. Descripteurs pour la médiation générale      La médiation, selon l’édition actualisée du CECR, regroupe un ensemble de compétences et d’activités comprenant à la fois la réception, la production et l’interaction. « Dans la médiation, l’utilisateur/apprenant agit comme un acteur social créant des passerelles et des outils pour ...