Accéder au contenu principal

Médiation : du cadre à la classe C1

    Il en est de la médiation en cours de langue comme de la prose de Monsieur Jourdain, nous la pratiquons depuis longtemps sans nous en rendre compte.

Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela.
Acte II, Scène IV Le Bourgeois gentilhomme, Molière, 1670

    Ayant formé pendant 4 ans des traducteurs et interprètes (donc des médiateurs), le concept et ses acceptions en didactique m'interrogent. Qu’entend le CECR par médiation ? Comment "médier des textes" en classe ? Quelques éléments de réponse.

Descripteurs pour la médiation générale

    La médiation, selon l’édition actualisée du CECR, regroupe un ensemble de compétences et d’activités comprenant à la fois la réception, la production et l’interaction.

« Dans la médiation, l’utilisateur/apprenant agit comme un acteur social créant des passerelles et des outils pour construire et transmettre du sens soit dans la même langue, soit d’une langue à une autre (médiation interlangues). »p 106

    Pour nous faire une meilleure idée de cette compétence, observons des extraits des descripteurs des niveaux A1, B1 et C1. (page 108)

A1

Peut transmettre des informations simples et prévisibles d’un intérêt immédiat, données dans des textes courts et simples tels que des panneaux, des annonces, affiches, programmes, dépliants, etc.

B1

Peut transmettre les points principaux de textes longs en langage simple et portant sur des sujets d’ordre personnel à condition qu’il/elle puisse vérifier le sens de certaines expressions.

Peut transmettre les informations données dans des textes informatifs clairs et bien structurés lies à des sujets d’ordre familier, personnel ou courant, en ayant de temps en temps des problèmes de formulation dus à son lexique limité.

C1

Peut transmettre de façon claire, fluide et bien structurée les idées importantes de textes longs et complexes, liés ou non à ses propres centres d’intérêt et intégrer les aspects évaluatifs et la plupart des nuances.

Peut transmettre l’essentiel du contenu de textes bien structurés mais longs et complexes quant au fond liés à ses centres d’intérêt professionnel, éducationnel et personnel, et clarifier les opinions et les intentions des locuteurs.


Trois types de médiation

    Nous avons consciemment sélectionner les parties des descripteurs concernant la médiation de textes (oraux ou écrits). Mais la médiation, telle que conçue et expliquée dans le CECR, peut être de 3 niveaux :

  • Médiation de textes : transmission d’information, explication de documents picturaux, traduire un texte, prendre des notes, commenter et analyser un texte créatif.
  • Médiation de concepts : coopération dans un groupe, mener un groupe, gérer des interactions, susciter un discours conceptuel...
  • Médiation de la communication : création d’un espace pluriculturel, être un intermédiaire, un facilitateur dans des situations délicates…

    Chacune de ces médiations peut être menée de façon inter ou intralangue : passage d’un registre à l’autre par exemple, ou d’un canal écrit à un canal oral et vice-versa.


Médier un texte

    La médiation, qui me semble la plus évidente en classe, est celle de textes (oraux et écrits) : « transmettre à une personne le contenu d’un texte auquel cette personne n’aurait pas accès, souvent à cause de barrières d’ordre linguistique, culturel, sémantique ou technique. »

    Quelques exemples de situations réalistes pouvant provoquer une authentique médiation de textes en classe, entre enseignant (manipulateur) et apprenants (consentants) :

  • Je ne comprends pas cet article scientifique : expliquez-moi comme si j’avais 8 ans.
  • Je ne comprends pas votre langue maternelle : donnez-moi l’essentiel du contenu de tel article dont la photo m’interpelle.
  • Je n’ai pas accès à une vidéo en ligne : regardez-la pour m'en expliquer le contenu.
  • Je n’ai pas le temps d’écouter une émission de radio : résumez-moi ce qui s’est dit. En quoi cela est-il en lien avec notre cours ?
  • Je ne comprends pas la référence culturelle de tel article provenant de votre pays : aidez-moi.
  • J’ai oublié mes notes : pouvez-vous me résumer l’article que nous avons étudié la semaine dernière ?

    Dans une classe (plurilingue ou pas), ces mêmes dynamiques peuvent être mises en place entre pairs.

Un exemple d’activité C1

    Le descripteur Traiter un texte à l’écrit (p. 116) stipule : « Peut résumer par écrit (en langue B), des textes longs et complexes (écrits en langue A), interpréter convenablement le contenu, à condition de pouvoir occasionnellement vérifier la signification précise de termes techniques peu courants. Peut résumer par écrit, pour un public spécifique, un texte long et complexe (en langue A), et respecter le style et le registre d’origine (par ex. un article d’analyse politique ou académique, un extrait de roman, un éditorial, une critique littéraire, un rapport, un extrait de livre scientifique). »

On précise encore une fois, que langue A et langue B peuvent être la même langue.

 


Ainsi, on peut proposer à un groupe d'apprenants C1 l’activité suivante :

  • Regardez les 8 épisodes de la mini-série d’Arte Dopamine.
  • Identifiez le refrain, les éléments communs à chaque épisode.
  • Ecrivez-en une synthèse donnant l’essentiel des concepts expliqués.

Dans le résumé final, chaque épisode dédié à un seul réseau social, apportera un exemple à des concepts transversaux, répétés dans les vidéos.

Exemple d'une production d'apprenant :

     La dopamine est une molécule sécrétée dans notre cerveau, et qui est responsable du sentiment de succès et de plaisir, de la motivation et enfin, de l’addiction. Cette mini-série considère huit applications répandues (Tinder, Twitter Snapchat, Uber, etc… ) et les techniques psychologiques par le biais desquelles elles rendent accrochés leurs utilisateurs. 

    Toutes ces applis sont gratuites et elles ont un objectif commun: faire en sorte que l’utilisateur passe le plus de  temps possible devant l’application et achète la version payante s’il en existe une.  Plus de temps devant l’appli signifie plus de publicité regardée, plus de données de géolocalisation et dans le cas d’Uber plus de commission. En bref: plus d’argent pour la société. Même si les détails psychologiques sont différents, le mécanisme central est commun pour toutes les applis: la stimulation de la sécrétion de dopamine. La dopamine a une fonction centrale pour la motivation et pour l’apprentissage: on veut répéter le mouvement ou la situation grâce auquel le cerveau a sécrété de la dopamine.

    Dans le cas de Tinder (une appli de rencontres) la vue d’un reproducteur ou d’une reproductrice idéale provoque la sécrétion de la dopamine. L’effet est augmenté par le phénomène de la récompense aléatoire, découvert par le psychologue américain Borrhus Frederic Skinner. Dans la fameuse boîte de Skinner, les souris peuvent sonner pour obtenir de l’alimentation. On sait depuis Pavlov que les souris apprennent rapidement la connection entre la sonnette et la nourriture. Skinner a découvert que les souris sonnent beaucoup plus fréquemment si la récompense n’est pas certaine, si les souris ne reçoivent pas toujours d’alimentation. C’est ce qui se passe avec Tinder: après avoir „swipé”,  l’appli montre quelquefois quelqu’un ou quelqu’une d'agréable, quelquefois pas du tout… Cela augmente le nombre de swip.

    Il existe aussi des techniques psychologiques beaucoup plus raffinées et peverses pour influer sur les utilisateurs et ces applications n'hésitent pas à les appliquer. Tinder, par exemple, ne montre pas tout le monde pour tout le monde. Il classifie les utilisateurs  selon le système d’Árpád Élő, un système originellement conçu pour la classification des joueurs d’échec. Typiquement, un utilisateur de Tinder ne regarde pas que les profils d’utilisateurs de la même classe de désirabilité. Néanmoins, elle propose quelquefois des profils bien au-dessus du niveau de l’utilisateur pour lui faire sentir qu’il joue dans la cour des grands.  Snapchat emploie  „l’effet IKEA”: plus de temps tu t’investis dans la fabrication d’un truc, plus celui-ci acquiert de la valeur produit à tes yeux. La modification et la personnalisation des „snaps”  (vidéos courtes) fortifient le lien entre l’utilisateur et l'application. Twitter, par exemple, manipule ses utilisateurs par l'anxiété et par le sentiment de „fomo”, abréviation pour „fear of missing out”, de ne pas être présent, de louper quelque chose d'important.

    La liste des techniques psychologiques employées par ces applications est infinie mais elles ont une chose en commun: elles provoquent la sécrétion de la dopamine. Contrairement à la faim, la système dopaminergique ne signale pas quand on est “plein”, quand on a „assez” de dopamine, les utilisateurs sont donc facilement poussés vers l’addiction, l’insomnie voire la dépression.

Z. M, juin 2020


Les citations du cadre et les numéros de pages font référence au :

CADRE EUROPÉEN COMMUN DE RÉFÉRENCE POUR LES LANGUES : APPRENDRE, ENSEIGNER, ÉVALUER

VOLUME COMPLÉMENTAIRE AVEC DE NOUVEAUX DESCRIPTEURS, février 2018, Conseil de l’Europe



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ludification académique : à côté de la plaque

     Un jour, en France, après des mois de « continuité pédagogique » plus ou moins bien gérée, quelqu’un a pensé que ce serait une bonne idée de donner des médailles en chocolat aux enseignants. Et ne riez pas, il y a eu quelqu’un pour dire «  Oh oui, super idée ! »      Imaginons la scène de la genèse. Quelques fonctionnaires dans une salle, en train de réfléchir : -Bon, alors, il faut faire un geste fort pour les profs, on fait quoi ? Des idées ? -On pourrait leur donner des médailles… -Comme aux infirmières face au COVID ? Non, ils vont dire qu’on se moque d’eux, et qu’on n’a pas d’imagination… -Et si on leur donnait des badges ? -Du budget ? Tu devrais voir une orthophoniste, parce que tu prononces vraiment mal certains mots. -Non, pas du budget ! Des badges ! -Tu veux dire des écussons ? Comme aux scouts ? -Oui ! Mais pas des vrais à coudre sur leurs chemises, hein, des ...

Comment on devient prof de FLE ?

L’Annonciation de Gabriel      On sort rarement du lycée avec les idées bien claires sur le métier que l’on veut exercer à 40 ans. Rares sont ceux qui ont, dès l’acné, une vocation chevillée au corps. Quand un francophone natif a le bac en poche, à moins d’avoir grandi dedans ou d’y être particulièrement sensibilisé, il s’inscrit rarement à la fac dans une filière FLE. Car bien souvent il en ignore l’existence, et parce qu’il pense bêtement qu’être prof de langue, c’est forcément d’une langue… étrangère à soi. Oui, à 18 ans, nous sommes souvent très provinciaux, très ethnocentrés, (c’est souvent synonyme), et l’on imagine difficilement que notre langue maternelle puisse être la langue étrangère de quelqu’un, et que comble du comble, on puisse l’enseigner !      Et pourtant ! Mais comment on fait ? Ce sont les épiphanies qui m’intéressent aujourd’hui, ces moments où l’on se dit « bon sang mais c’est bien sûr !...

Mémoires et mémorisation 1

Un mythe s’écroule ! La mémoire visuelle n’existe pas. Zut ! Ni la mémoire auditive, ni la mémoire kinesthésique ? Triple zut ! Moi qui essayais de faire mobiliser les trois à mes apprenants ! Mais alors, quelles mémoires existent ? Faisons le point.   image Adobe Stock Cinq différents types de mémoires   Il n’existe pas une seule mémoire, mais DES mémoires, chacune ayant son fonctionnement et sa temporalité.   La mémoire sémantique C’est un réservoir de savoirs sur le monde et sur soi. En d’autres termes, il s’agit de l’ensemble des connaissances explicites, que l’on peut nommer et déclarer (vocabulaire, concepts, notions, noms) Elle nécessite d’être sollicitée par des consolidations régulières pour une mémorisation à long terme.   La mémoire procédurale C’est le stock des acquis automatiquement réalisables pour produire des gestes routiniers que l’on accomplit sans y penser, « inconsciemment». Ils nécessitent un entraînement intense...