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Le ROC dans L'inventoire

copie d'un article publié dans L'inventoire en novembre 2016

ROC : l’écriture créative selon Pascal Biras
Pour apprendre des langues
Pascal Biras a créé le ROC en 2012, lorsqu’il enseignait le français langue étrangère dans un lycée de Budapest en Hongrie, en proposant aux lycéens la création collaborative d’un roman pour les encourager à parler français pendant le cours. Par ce biais, 6 romans reposant sur l’oralité ont déjà été publiés en Hongrie.
Lors de la conférence internationale sur l’écriture créative qui s’est déroulée à Turin les 23 et 24 septembre derniers, Pascal Biras a présenté son dispositif.
photo-roc-pbQu’est-ce que le dispositif ROC ?

ROC signifie Roman Oral Collectif. Il s’agit d’utiliser l’écriture créative comme outil méthodologique dans une classe de langue.

Le dispositif a pour but de transformer les apprenants en auteurs, de faire de la conversation une activité narrative et créative. Il donne aux lycéens quelque chose à dire, en langue étrangère, aussi bien à leur professeur qu’à leurs pairs.

Le projet s’inspire des idées de la pédagogie orientée vers l’enfant (Célestin Freinet) tout comme de la méthode communautaire (Charles Curran) dans l’apprentissage des langues.

Le ROC repose essentiellement sur de l’écriture créative, de l’écriture à contraintes et l’enseignement d’une langue étrangère. Il engage des petits groupes d’environ 10 étudiants autour de la création d’un roman oral, comme activité de groupe dans le cours de langue.

En 4 ans, le ROC a été testé avec différents groupes dans des ateliers hebdomadaires de 45 minutes pendant 8 mois.

Dans la salle de classe, pendant que les étudiants inventent des personnages et construisent l’histoire narratif séance après séance, le professeur joue le rôle de guide et prépare la transcription du roman oral.

En fait, le ROC est un atelier d’écriture créative tout à fait paradoxal, puisque les participants n’écrivent pas une seule ligne. Ils n’ont ni stylo ni papier. Ils parlent, simplement.

Quelles sont les règles du ROC ?

– Quand un apprenant prend la parole, il doit toujours dire quel personnage il est dans l’histoire. Ainsi, il n’y a pas de point de vue externe omniscient, chaque performance orale est associée à un personnage, assumée par un témoin de quelque chose, un ami, un frère, un amant secret ou le pire ennemi du protagoniste de l’histoire en train de naître.

– N’importe qui peut continuer le discours de quelqu’un d’autre, le développer, l’enrichir, mais il ne peut pas le changer. Ce qui a été dit a été écrit et ne peut être modifié. Les paroles s’envolent, les écrits restent.

– N’importe qui peut ajouter un nouveau regard sur les faits, en créant un nouveau personnage qui continue l’histoire. On peut donner un autre point de vue, mais on ne peut pas dire « Bob est africain » si quelqu’un a déjà dit que Bob était chinois.

– En tant que professeur de langue, le scribe peut corriger des erreurs de langue (vocabulaire, grammaire) mais il ne peut écrire la version correcte qu’à partir du moment où les apprenants se sont eux-mêmes corrigés. Le professeur n’écrit que ce qui a été dit. Bien sûr, celui-ci doit également respecter les règles et ne peut pas modifier l’histoire.

 Quels résultats ont été obtenus auprès des lycéens ?

Avec ses lycéens hongrois, Pascal Biras a produit 5 différents romans, suivant des codes de genres très différents : une biographie orale, un conte de fées moderne, un roman initiatique, un roman épistolaire…

Le ROC s’avère ainsi un programme efficace et motivant, dans la mesure où il a pour but la production d’un objet tangible, un livre dont les adolescents peuvent être fiers. Le dispositif leur apprend également à travailler ensemble. Pour créer quelque chose de manière collective, les apprenants doivent s’écouter, négocier, faire preuve de respect, faire des compromis. Ils apprennent à évoluer et à travailler dans un groupe avec un but commun, compétence bien souvent requise dans notre société.

Au delà du livre et du projet lui-même, le ROC permet surtout aux apprenants de créer et de développer une relation intime avec une langue étrangère, puisque son utilisation dépasse largement le cadre de la matière scolaire. On ne fait pas du français comme des maths, on écrit un livre. Elle devient un outil pour exprimer des idées et pour inventer des univers entiers, un processus dans lequel l’inconscient, le fantasme entrent en jeu. Le recours à l’imaginaire, associé à une aventure positive, injecte de l’affect dans la langue et contribue à son meilleur apprentissage.

Quels genres d’activités peuvent être utilisés pour faciliter la créativité en groupe ?

Le brainstorming comme cadre guide.

Afin de produire une base de données de vocabulaire riche et variée, l’enseignant utilise le brainstorming comme une armoire dont chaque tiroir est rempli de mots. Par exemple dans l’un des ouvrages créés, Points de vue, quand la protagoniste rencontre son ex-petit ami, au lieu de dire « il est devenu riche et il a réussi dans la vie », il est demandé aux étudiants de remplir un tableau avec des « signes extérieurs de richesse ». Ceci leur permet de construire une description riche des changements du protagoniste, en introduisant également de nouveaux personnages, comme dans ce cas précis un coach personnel ou une femme de ménage.

 La réécriture

La réécriture est entendue ici comme la transcription du texte dans un autre genre ou code, par exemple un article de journal en un roman de style oral. Un article de journal n’est pas un récit subjectif. Néanmoins, il procure aux étudiants des faits, des lieux, des moments, des personnages, et la plupart du temps des citations, qui, colorées d’une touche d’imagination, produisent une fiction.

 L’écriture à contrainte

La première contrainte, et peut-être la plus évidente, est celle que les apprenants-auteurs se donnent à eux-mêmes quand ils commencent à écrire en septembre. Ils doivent effectivement respecter ce qu’ils ont décidé des personnages et des thèmes au début de l’année, quand ils ont commencé à en parler, sans forcément prendre en compte le fait qu’ils devraient continuer le roman mais surtout le terminer. Ils n’auraient pas non plus le temps de recommencer, le calendrier scolaire étant ce qu’il est. Une autre règle devenue source d’inspiration est l’utilisation obligatoire des 10 mots choisis chaque année par la francophonie pour encourager ceux qui apprennent le français à se les approprier en jouant avec leurs sens et leurs sonorités. Ces mots ont été utilisés dans 3 romans pour faire lien entre les parties ou comme base pour introduire de nouvelles idées.

Enfin, en tant que professeur de langue, Pascal Biras pense bien évidemment en termes de programmes méthodologiques, tâches et objectifs pédagogiques. Il sait que ses élèves doivent apprendre et pratiquer la grammaire, le vocabulaire liés à des actes de paroles caractéristiques de leur niveau de langue. Un cadre narratif peut être combiné avec des objectifs pédagogiques, et les objectifs visés par l’enseignement peuvent être utilisés pour créer un cadre narratif. Progression narrative et progression didactique peuvent faire bon ménage.

Propos recueillis par Louise Muller

Aujourd’hui résidant à Barcelone, Pascal Biras s’occupe de formation continue de professeurs de français, et continue à explorer les possibilités du ROC avec des adolescents catalans.



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