Accéder au contenu principal

Animer un club de lecture B2


    Pour un prof de langue qui aime la littérature, mener un club de lecture, c’est une chance et un défi. Réflexions et bilan d'une année.

Bibliothèque de Binhai, 2017, Tianjin

Le niveau

    La première question est celle du niveau de langue. Si le conte peut être approprié dès le niveau A2 et si le polar semble plus adapté au niveau B1 (captivant, beaucoup de dialogues, logique d’une enquête, prévisibilité de schémas narratifs et de distribution des rôles…) à partir d’un niveau B2 validé, on dispose d'une bonne marge de manœuvre, et l'on peut donc avoir de l’ambition dans ce qu’on lit.



Le roman

    La deuxième question est celle du choix des livres, et là aussi, c’est infini ! Nouvelles ? Essais ? Romans ? Reportages ? On a délibérément opté pour le roman, pour ses possibilités multiples. Comme le disait Milan Kundera "la seule raison d'être du roman est de dire ce que seul le roman peut dire." Et plus particulièrement les romans contemporains, d’auteurs vivants, car après tout, le français est une langue vivante... (On n’exclut cependant pas de futurs programmes mêlant le passé et le présent…)

    On a aussi fait le choix d’évacuer les romans trop évidents, trop positifs, faisant le pari de la complexité de l’âme humaine jusqu’à parfois la noirceur et la violence, pour nourrir des conversations convoquant des actes de parole et du lexique moins abordés en cours « classiques ».


La francophonie

   La langue française offre une diversité vertigineuse. Le club de lecture offre la possibilité concrète d’aborder différents continents à travers la littérature d’expression française, et de donner une réalité à une phrase un peu "tarte à la crème", une assertion tellement répétée qu'elle en perdrait presque son sens : la francophonie est une richesse.

    Choisir, c’est éliminer, et l’on aurait aimé plus de pays, plus de voix. On a essayé d’ouvrir des pistes, de se frayer un chemin entre les inévitables, les plus connus, l’Europe, le Maghreb, l’Afrique, en respectant un équilibre de genres et de thèmes.


Une spirale thématique

    En effet, se confronter à la francophonie, c’est se confronter à certaines thématiques récurrentes, comme celle de l’exil, du départ, de la migration. C’est un des thèmes qui a guidé les choix, et qui nous a permis, entre autres prismes, de composer un puzzle de romans qui se répondent, qui entrent en correspondances les uns avec les autres.

    Le bénéfice est d’abord celui d’une consolidation du lexique, qui revient cycliquement, et qui fortifie les lectures au cours des mois.

    Il nous a semblé approprié de partir du connu, d’ancrer les lectures dans le réel des apprenants, en commençant l’année avec un roman francophone se déroulant dans leur ville.


Une classe inversée

    ll est amusant de noter qu’un club de lecture, c’est l’application à la littérature du concept de classe inversée : on lit à la maison, et on dédie les 2 heures de classe à la parole, à parler, à échanger sur ce qu’on a lu.

    Là est le second avantage de la cyclicité des thématiques : on peut imaginer des dialogues entre les personnages des romans, explorer ce qu’ils se diraient, comparer le traitement que les auteurs font d’un lieu, d’un sentiment, d’une situation existentielle etc.

    De même, pour nourrir les discussions en présentiel, il nous a semblé opportun de proposer des romans ayant été déclinés sur d'autres médias : adaptations cinématographiques, en bande dessinée etc... Cela nous offre des possibilités de comparaison et de discours critiques, d'attentes déçues ou comblées...


Un écueil

    Le club de lecture n’est pas un cours magistral d’étude littéraire. Si l’animateur a la charge de susciter le débat, de stimuler les réactions en mettant le doigt sur tel ou tel aspect, il n’est en aucun cas dispensateur de savoir. La littérature est une porte ouverte à la subjectivité. Ce sont les expressions de ces subjectivités qui construisent le cours, pas l’opinion de l’animateur, qui est, en tant que lecteur, au même niveau que les participants.


Un cas concret

    En guise d’exmple de ces propos théoriques, observons le programme proposé cette année au club de lecture (session du soir) de l’Escola Oficial d’Idiomes Drassanes, à Barcelone.


Les couvertures des 8 romans de l'année


Je soumets ici quelques pistes en forme de jeu pour tracer la cartographie des œuvres, et entrevoir le systèmes de jeux de miroirs mis en place.


Saurez-vous retrouver :
  • deux romans écrits par des Belges
  • deux romans récompensés par des prix prestigieux
  • deux romans d’auteurs d’origine marocaine
  • deux romans où Barcelone est point de départ / point de chute d'un personnage
  • deux romans où les personnages principaux écrivent (des histoires dans les histoires)
  • deux romans adaptés récemment au cinéma
  • deux romans sur les migrations et les relations Afrique-Europe
  • des romans écrits par des femmes
  • des romans proposant une critique de la société contemporaine
  • deux romans s'ouvrant sur une scène très violente
  • deux romans abordant d’une façon indirecte la Shoah
  • deux romans construits comme une enquête
  • un roman qui semble brasser les thèmes de tous les autres


Un bilan

    J’ai eu la chance d’avoir dans mon groupe des apprenants certes motivés, amoureux de la langue, mais surtout, des lecteurs consciencieux, qui prenaient des notes au fur et à mesure de leur lecture, qui venaient aux rendez-vous mensuels avec une connaissance et une maîtrise de ce qu’ils avaient lu vraiment appréciable. Certains lisaient même deux fois les livres : une fois pour le plaisir, une autre fois pour être sûr de bien comprendre en profondeur…

Qu’il me soit permis de leur dire ici mon admiration et ma reconnaissance, car les écouter parler a été un grand bonheur.

Que disent les participants ?

    Nous proposons enfin un tableau des notes données à chaque livre par chaque apprenant, en guise de bilan final. De quoi donner des idées pour l'été ?



Commentaires

  1. Bonjour,
    Quels âges avaient les apprenants? jeunes adultes?
    Avec des groupes d'ados de niveau B1, des idées de romans ou lectures à partager qui pourraient fonctionner?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, les apprenants dont il est question sont des adultes entre 30 et 65 ans. Pour le niveau B1, je crois que les polars, ou les romans d'aventure sont adaptés. Il existe en ligne des listes de polars pour ado, dont voici un exemple:
      https://www.babelio.com/liste/8317/Du-polar-pour-les-ados--selection-de-titres-parus

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Réflexions sur l'app Duolinguo

Réflexions d’un prof de FLE sur l’application Duolinguo      Prof de langue, vous avez certainement déjà entendu un ami, ou pire, un de vos apprenants, vous parler de Duolinguo comme d’un outil magique d’apprentissage. Et probablement, cela vous a mis dans le même état qu’un traducteur devant Google trad, ou qu’un chef étoilé devant un tutoriel de cuisine sur Youtube… J’ai pour ma part, toujours été sceptique face au petit oiseau vert, jusqu’au jour où je l’ai laissé gazouiller à mon oreille, et où je me suis intéressé à ce qu’il avait à me dire. Ceci n’est pas un cours de langue      C’est le premier constat qui s’impose en préambule. Pas de communication, pas d’exposition en contexte des contenus lexicaux et grammaticaux, pas de production orale, pas d’approche inductive de la grammaire, recours à la traduction systématique, pas d’activités à proprement parler de réactivation et de création, pas de culture de la langue cible… La langue y es...

Mémoires et mémorisation 1

Un mythe s’écroule ! La mémoire visuelle n’existe pas. Zut ! Ni la mémoire auditive, ni la mémoire kinesthésique ? Triple zut ! Moi qui essayais de faire mobiliser les trois à mes apprenants ! Mais alors, quelles mémoires existent ? Faisons le point.   image Adobe Stock Cinq différents types de mémoires   Il n’existe pas une seule mémoire, mais DES mémoires, chacune ayant son fonctionnement et sa temporalité.   La mémoire sémantique C’est un réservoir de savoirs sur le monde et sur soi. En d’autres termes, il s’agit de l’ensemble des connaissances explicites, que l’on peut nommer et déclarer (vocabulaire, concepts, notions, noms) Elle nécessite d’être sollicitée par des consolidations régulières pour une mémorisation à long terme.   La mémoire procédurale C’est le stock des acquis automatiquement réalisables pour produire des gestes routiniers que l’on accomplit sans y penser, « inconsciemment». Ils nécessitent un entraînement intense...

Comment on devient prof de FLE ?

L’Annonciation de Gabriel      On sort rarement du lycée avec les idées bien claires sur le métier que l’on veut exercer à 40 ans. Rares sont ceux qui ont, dès l’acné, une vocation chevillée au corps. Quand un francophone natif a le bac en poche, à moins d’avoir grandi dedans ou d’y être particulièrement sensibilisé, il s’inscrit rarement à la fac dans une filière FLE. Car bien souvent il en ignore l’existence, et parce qu’il pense bêtement qu’être prof de langue, c’est forcément d’une langue… étrangère à soi. Oui, à 18 ans, nous sommes souvent très provinciaux, très ethnocentrés, (c’est souvent synonyme), et l’on imagine difficilement que notre langue maternelle puisse être la langue étrangère de quelqu’un, et que comble du comble, on puisse l’enseigner !      Et pourtant ! Mais comment on fait ? Ce sont les épiphanies qui m’intéressent aujourd’hui, ces moments où l’on se dit « bon sang mais c’est bien sûr !...