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Profession médiation : interprète

    Premier d'une série de portraits de personnes inspirantes. Aujourd’hui Linda Vadasz, interprète de conférence.

Un interprète doit être perfectionniste tout en sachant qu’il ne peut jamais être parfait
Bonjour Linda, peux-tu te présenter en quelques mots ? Dans ton métier, avec combien de langues jongles-tu ? Lesquelles ?

Bonjour Pascal, je travaille en tant qu’interprète de conférence free-lance depuis près de dix ans déjà. Mes langues de travail sont le hongrois (ma langue maternelle), le français, l’anglais et l’italien. Je fais en continue la navette entre Budapest et Bruxelles étant donné que je travaille non seulement sur le marché hongrois mais aussi régulièrement dans les institutions de l’Union européenne (Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, Comité économique et social européen, Comité européen des régions, etc.)

Au Parlement Européen

Qu’est-ce qui t’a amené au français ? Comment l’as-tu appris ?

Le français est la troisième langue étrangère que j’ai apprise après l’anglais et l’italien mais c’est la langue que j’utilise le plus souvent dans mon travail. J’ai commencé à l’apprendre au lycée à l’âge de 14 ans. Mon lycée organisait chaque année une journée scolaire avec des conférences et des projections sur des sujets divers et variés. Nous, élèves, nous pouvions assister aux programmes qui nous intéressaient le plus et en terminale, je me suis rendu compte que je choisissais spontanément les programmes qui avaient un rapport avec la langue française : la projection du film La Haine, la présentation d’une classe après un voyage à Paris et une conférence d’un politologue sur les émeutes dans des banlieues. C’est à l’issue de cette journée que j’ai décidé de m’inscrire à la filière d’études de langue et littérature françaises.

As-tu des techniques d’apprentissage ? Comment « entretiens-tu » tes différentes langues ?

J’essaye de suivre les actualités dans toutes mes langues de travail, ce qui me donne l’occasion non seulement d’être à jour mais aussi de découvrir des mots et des expressions d’actualité. Je lis la presse et la littérature dans mes langues de travail et je regarde les films en langue originale (si je comprends la langue originale. :) Ainsi, l’entretien de mes langues ne relève pas du travail mais du divertissement. J’ai la grande chance d’adorer tout ce qui est lié à mon travail.


Quelles sont les idées reçues ou les fausses croyances sur le métier d’interprète qui t’agacent ?

Ceux qui ont recours aux services d’un interprète pour la première fois ont tendance à traiter l’interprète comme un dictionnaire et pensent que l’interprète connaît tous les mots en toutes ses langues, ce qui est loin d’être vrai. C’est la préparation rigoureuse qui nous permet d’être à la hauteur sur les sujets qu’on interprète.

Et puis, les termes d’interprète et de traducteur sont souvent confondus, or, il s’agit de deux métiers et de deux personnalités tout à fait différentes. La grande différence est que les interprètes donnent oralement l'équivalent, en une autre langue de ce qui est dit, tandis que les traducteurs travaillent à l’écrit. Les interprètes sont des « communicateurs » qui sont à l’aise sur scène devant 500 personnes tandis que les traducteurs sont plutôt introvertis.

Au contraire, y’a-t-il un film ou un livre que tu conseillerais parce qu’il représente bien ton métier ?

Je conseillerais un court-métrage hongrois sorti en 2018 et réalisé par Barnabás TÓTH qui figurait sur la shortlist des meilleurs courts-métrages aux Oscars en 2019 : Chuchotage. A part certains éléments qui ne couvrent pas du tout la réalité de notre métier, le film donne un aperçu de ce qui se passe dans une cabine d’interprète.

court-métrage de Barnabas Toth

Qu’est-ce qu’un interprète doit savoir, indépendamment de ses langues de travail ?

Un interprète doit suivre les actualités dans le monde entier parce qu’une allusion peut être faite à n’importe quoi, et à n’importe quelle occasion. Pour donner un exemple concret, je partage avec vous une petite anecdote. J’interprétais à un forum d’enseignement supérieur, j’étais donc très bien préparée pour tout ce qui concernait les systèmes d’enseignement de tous les pays représentés. Un des orateurs a commencé sa présentation par une allusion à un match de foot de la veille. Je ne suis pas une grande sportive, heureusement que je lisais les actualités et que je savais ce à quoi l’orateur faisait allusion et pourquoi. Un interprète doit aussi connaître le plus possible la culture des pays de ses langues. Encore une raison d’adorer ce métier ! :)

Qu’est-ce qu’un interprète doit savoir faire ?

Un interprète doit se familiariser avec les techniques de prise de notes qui n’ont rien à voir avec la sténographie et qui font partie de la formation d’interprète. Il existe des lignes directrices de base mais il est très important de concevoir une technique sur mesure qui sert le plus possible l’interprète. Il est important de souligner que la prise de notes soutient le travail de la mémoire et ne sert pas à transcrire avec des symboles l’intégralité du discours.

Pendant l’interprétation consécutive (quand l’interprète suit le discours de l’orateur et le restitue dans une autre langue après avoir pris des notes), l’interprète a besoin de sa mémoire à moyen-terme tandis que pendant l’interprétation simultanée, l’interprète a recours à sa mémoire à court-terme. Il doit aussi être capable d’anticiper le discours de l’orateur.

Qu’est-ce qu’un interprète doit savoir être ?

Flexible, adaptable, humble, respectueux : l’interprète est là pour rendre possible la communication entre des personnes qui ne partagent pas une langue commune. Même si l’interprète est au cœur de l’attention, il doit savoir qu’il fournit un service. Il doit s’adapter le plus possible pour que l’événement auquel il participe se déroule le plus fluidement possible sans attirer l’attention sur lui.

Linda Vadasz

Quels conseils donnerais-tu à un jeune apprenant de langue qui voudrait devenir interprète ?

Ne jamais lâcher. La vie d’un interprète est pleine d’épreuves inspirantes : il faut toujours essayer de viser plus haut, de se fixer des objectifs et de tout faire pour les réaliser. Il ne faut pas se laisser décourager si après une mission, on sent qu’on n’a pas été assez à la hauteur des tâches : il faut identifier les lacunes et les combler pour la prochaine fois et il ne faut surtout pas oublier la grande contradiction de l’interprétation : un interprète doit être perfectionniste tout en sachant qu’il ne peut jamais être parfait.

Merci beaucoup, Linda, pour ton témoignage !

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